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Chaos et organisation naturelle
entretien avec Dee Hock


Soudainement, dans le temps des trois dernières décennies, avec l'émergence de la micro-technologie, nous nous retrouvons avec des algorithmes améliorés par mille, cinq cent mille fois plus de pouvoir de calcul par individu, et une mobilité d'information multipliée par cinq cent millions. Comme j'aime le dire, la totalité de la mémoire de l'espècece qui veut dire toute information connue et enregistréene sera plus éloignée de nous, dans quelques années, que de quelques touches de clavier. Quelles vont être les conséquences de cette explosion de la capacité de recevoir, utiliser, stocker, transformer et transmettre de l'information pour les formes d'organisation et pour la complexité et la diversité de nos problèmes ?

Mais ce n'est rien encore. Prenez la nano-technologiequi en langage simple est la technologie des ordinateurs et des machines d'assemblage, capables de s'auto-cloner, des instruments si minuscules qu'ils peuvent agencer des atomes comme si c'étaient des briques. C'est de cette façon que nous allons fabriquer des organes, des organismes, des produits et des services d'ici trois ou quatre décennies. Avec la nano-techonologie, l'information va se déplacer à une vitesse et en quantité cent fois, peut-être mille fois plus grandes qu'aujourd'hui. Autre paramètre important : chaque transformation de cet ordre apporte une croissance égale de notre pouvoir de modifier et de détruire la nature. C'est là où nous en sommes aujourd'hui. Si l'évolution ne change pas totalement de direction, nous allons nous trouver face à un explosion de diversité et de complexité sociétales, et à une perturbation des systèmes biologiques bien plus importantes que ce que nous connaissons aujourd'hui, ou que nous ne sommes peut-être pas même encore capables d'imaginer. La question essentielle devient alors : pouvons nous faire face à ces transformations avec nos vieilles formes d'organisation mécanistes basées sur le commandement et le contrôle, héritées du dix-septième siècle ? Notre chance de réussite est celle d'une boule de neige en enfer. Je dis toujours à mon auditoire : si vous pensez que cette transformation ne vas pas avoir lieu, ou qu'elle n'est pas en train d'avoir lieu, ou que vous pouvez l'éviter, ou que vous pouvez opérer de la vielle façon et n'avoir pas à vous y confronter, essayez de vous rappeler la dernière fois que l'évolution vous a téléphoné pour vous demander votre permission. Cela n'arrivera pas. Nous pouvons continuer à perpétuer les vieux schémas et essayer de faire fonctionner le monde selon notre vision mécaniste et newtonienne de la réalité, ou bien nous pouvons changer de vision, modifier notre modèle interne de la réalité. La première option n'est pas seulement stupide, elle est futile. La deuxième est difficile, mais essentielle si nous voulons avoir un monde vivable.

WIE : D'après votre description, la volonté individuelle et collective de changer notre vision de la réalité est fondamentale pour une transformation effective. Mais vous semblez dire qu'il ne s'agit pas seulement de remplacer un vieux modèle par un autre. Il s'agit, en fait, d'aligner notre vision et notre comportement sur la nature profonde de l'évolution.

DH : Oui. Nous ne sommes pas obligés de rester dans le cadre mental et institutionnel actuel, qui est radicalement destructeur. Nous pouvons changer, et l'ordre naturel des choses pourrait émerger dans toutes nos organisations sociétalesle gouvernement, le commerce, la religion. Il est à notre portée, en attendant de pouvoir prendre forme. Je dis souvent que chaque esprit humain est comme une pièce dans une vielle maison, remplie de très vieux mobilier. Prenez n'importe quel espace de votre esprit , videz-le de vos vielles idées, et des nouvelles vont venir à leur place, bonnes ou mauvaises. Le changement vient beaucoup plus de se débarrasser de quelque chose que d'additionner ou d'acquérir.

AU-DELÀ DE L'IDÉOLOGIE MÉCANISTE

WIE : À la fin de votre livre vous soulignez que vous n'aviez pas prévu la force de résistance des individus vis-à-vis du changement. Vous avez remarqué ce phénomène tout au long de votre équipée pour mettre en place la carte VISA. Depuis, comment comprenez-vous cette résistance au changement?

DH : Je pense, que la raison pour laquelle nous avons autant de difficulté avec le changement vient de notre conditionnement. Ce conditionnement est accumulé depuis des milliers d'années, mais la pensée mécaniste a commencé à dominer au temps de Newton et Descartes, quand la science newtonienne a postulé que l'univers et tout ce qu'il comporte peut être compris comme un mécanisme semblable à une horloge, une machine, chaque partie agissant sur un autre selon des lois linéaires de cause à effet. Ce modèle de pensées s'est répandu à travers les sciences, puis nous l'avons appliqué à tout. Depuis quatre cents ans environ, nous avons tenté d'organiser chaque aspect de la société selon cette perspective scientifique mécaniste. La pensée newtonienne a des utilités magnifiques. Si je vais à l'hôpital pour une chirurgie de l'œil, il ne me faut pas une salle d'opération de type chaordique. Pour fabriquer un chip parfait en silicone, il faut un environnement pratiquement mécanisé, totalement contrôlé, très propre, très organisé. Mais ça ne veut pas dire que ce serait la bonne façon de diriger "Intel", ou d'organiser un système de sécurité sociale.

Donc, depuis quatre cents ans nous avons essayé de construire toutes nos organisations comme si le modèle newtonien de la réalité était applicable universellement. Une personne fait un rapport à celle-là qui rapporte à son tour à celle-ci et ainsi de suite. Les ordres venant d'en haut sont transmis vers le bas. Tout le resteargent, pouvoirest distribué de bas en haut. Tout est conçu en termes de causes à effets linéaires, d'où une pléthore de manuels d'opération et de réglementation.

Si vous regardez bien, vous verrez que chaque institution que vous avec connue dans votre vie est consciemment ou inconsciemment fondée sur cette métaphore et ce modèle. Votre école fonctionnait de cette façon, votre église, votre communauté, et votre État également. C'est votre vision de la réalité qui est la machine. La difficulté de penser autrement et même de comprendre que nous avons une pensée mécaniste ne me surprend donc pas du tout. Ce modèle interne de la réalité crée une tension à un niveau subconscient, car il est inscrit littéralement jusque dans nos gènes, sans que nous le reconnaissions ou que nous nous demandions comment nous l'avons, et pourquoi nous l'avons, et s'il est toujours utile. Même si nous pouvons comprendre ce schéma intellectuellement, c'est beaucoup plus difficile d'en atteindre les niveaux profonds.

Après toutes ces années de conditionnement il n'est pas surprenant que nous ayons autant de difficultés ; De plus, même si on commence à réfléchir différemment, on est confronté à une société où pratiquement chaque institution et situation opère selon le vieux modèle newtonien. Voilà pourquoi c'est difficile. Je pense qu'il faudra plusieurs générations pour nous libérer complètement de l'idéologie mécaniste newtonienne.

WIE: Face à la force de ce conditionnement et à notre résistance à nous en séparer, qu'est ce qui provoque le saut hors de l'ancien système ? Vous-même étiez incroyablement motivé pour franchir ce pas. Que faut-il pour qu'un individu soit prêt à endurer les désagréments dus à l'abandon du vieux modèle ?

DH : Tout d'abord, vous devez vraiment ouvrir votre esprit pour essayer de comprendre ce qu'est actuellement votre modèle interne de la réalité et comment il fonctionne. Ensuite, vous devez vous familiariser avec celui-ci. Emerson a eu une phrase merveilleuse : " Partout où vous allez, vous emmenez votre géant avec vous. " Donc vous avez dans votre inconscient ce géant, ce modèle de la réalité, un étalon par lequel vous jugez et mesurez tout. Il ne va jamais vous quitter, aussi vous feriez mieux de vous tourner vers lui, vous présenter, et lui dire : " Nous allons passer le reste de notre vie ensemble, mais je ne vais plus te laisser diriger mes pensées. Toi, tu dois vivre avec ma capacité de penser d'une façon nouvelle. " Il faut simplement lui faire face. Je dis souvent à mon public : Mon Dieu, j'ai été élevé pour commander et contrôler. Je suis une sorte de " commando-contrôlique ", un drogué. Je ne pourrai peut-être jamais débarrasser mon système de cette accoutumance. Mais si je ne la comprends pas, je ne peux pas commencer à l'affronter.

BUT ET PRINCIPES

WIE : Comment un groupe de personnes peut-il apprendre à réfléchir d'une façon différente à un niveau collectif ?

DH : Il faut vraiment s'interroger profondément. J'ai passé des mois et des mois à me poser la question : " Qu'est-ce qu'une organisation ? " Quand je parle d'un changement institutionnelle et organisationnel, de quoi je parle ? Qu'est une organisation dans son sens le plus profond ? Il ne s'agit certainement pas seulement d'un jeu de règles, parce que je peux écrire un certain nombre de règles, les mettre dans un tiroir et ce ne sera plus qu'un vieux tas de papiers. Si vous y réfléchissez vraiment en profondeur, vous découvrez que toute les institutions, sans exception, n'ont d'autre réalité que dans votre esprit. Leur existence réelle ne se trouve pas dans leurs bâtimentsils n'en sont que la manifestation. On ne la trouve pas non plus dans leur nom, ni dans leur logo, ni dans un papier fictif qu'on appelle certificat. Elle n'est pas dans l'argent non plus. Leur existence réelle est un concept mental autour duquel des gens et des ressources se rassemblent à la poursuite d'un but commun.

Suivons encore un peu ce raisonnement. Si l'institution n'a pas d'existence réelle en dehors de votre mental, de celui de vos associés ou des autres personnes qui s'adressent à elle, quelle est donc sa véritable nature ? Quelle est sa véritable force ? Ceci m'a amené à me dire que dans le cœur et dans l'âme de toute organisation, du moins toute organisation saine, on trouve un but et des principes. Quel est le but qui nous a rassemblés et quelles sont nos convictions sur la façon de nous conduire afin d'y parvenir ? Si nos croyances sont basées sur le vieux modèle de commandement et contrôle du sommet vers le bas, avec la spécialisation, les privilèges, et le profit avant tout, notre organisation au bout d'un moment deviendra toxique. Elle deviendra contraire à l'esprit humain et destructrice pour la biosphère. Les preuves en sont partout.

Votre organisation a besoin d'être très claire sur son but et ses principes et doit se préoccuper de savoir ce qu'est un but et ce qu'est un principe. Vous savez, un but n'est pas un objectif, ce n'est pas la formulation d'une missionun but est l'expression sans ambiguïté de ce que des personnes souhaitent devenir ensemble. Et un principe n'a rien d'une platitudec'est une conviction fondamentale sur la façon dont vous avez l'intention de vous conduire dans la poursuite de ce but. Vous devez être très précis sur ces points. Si votre but et vos principes sont constructifs et sains, alors votre organisation va prendre une forme différente de tout ce que vous aviez imaginé. Elle va libérer l'esprit humain et va être constructive pour la biosphère. Du capital naturel et humain va se libérer en abondance et les questions monétaires auront relativement peu d'importance. En d'autres termes, je pense que le but et les principes, clairement compris et articulés, et partagés, constituent le code génétique de toute organisation saine. C'est dans la mesure où le but et les principes sont partagés que l'on peut se passer de commandement et de contrôle. Les personnes impliquées vont savoir comment se conduire en accord avec ces buts et principes, et elles le feront de mille manières inattendues et créatives. L'organisation va devenir un organisme de convictions, un organisme vivant.

Mon expérience m'a montré qu'il est difficile de susciter chez les gens un intérêt soutenu sur ces questions, il n'y a jamais assez de métaphores pour les aider. Notre capacité de réflexion est limitée et les plombs peuvent sauter. Il faut se reposer, remettre des plombs et y revenir. Et on tourne et retourne sans cesse le sujet. Mais quand on trouve un groupe de gens qui se met à vraiment comprendre l'organisation chaordique, alors les individus explosent littéralement d'énergie, d'excitation et d'enthousiasmeils savent ce qu'il faut faire. Vous savez, c'est dans leur nature. Vous ne pouvez pas arrêter ce mouvement.

Pour revenir à la question de la transformationvous pouvez constater que, à cause de ces quatre cents ans de conditionnement intense, nous avons appris à avoir peur du changement. Si vous vous trouvez dans une société et/ou une organisation rigide, mécanique, basée sur la loi linéaire de cause à effet, alors tout changement engendre une crise de dévalorisation de soi. Le changement détruit notre identité, notre sens de l'être, nos repères dans le temps et dans l'espace. Nous ne sommes jamais certains que nous allons avoir un rôle de valeur dans le nouvel ordre des choses. Nous nous laissons terrifier à tort. Mais, mon Dieu, ce peut-être l'aventure la plus grande, la plus excitante qui soit jamais arrivée à l'espèce humaine.





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