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Chaos et organisation naturelle
Transformation par conception
entretien avec Dee Hock, par Melissa Hoffman
WIE : Dans votre livre Birth of the Chaordic
Age (" La Naissance de l'ère chaordique "), vous
décrivez comment vous avez utilisé les premier
syllabes du mot "chaos" et du mot "ordre" pour décrire
une forme dynamique d'organisation inspirée par les
principes fondamentaux de l'évolution et de la nature.
Votre travail, dont les fondements ont beaucoup à voir
avec la théorie du chaos, nous demande de
reconsidérer nos façons de nous organiser à
la lumière de ces principes chaordiques
élémentaires, et d'en finir avec le modèle
mécaniste traditionnel, plutôt rigide, qui
caractérise la plupart des organisations aujourd'hui.
DEE HOCK : Oui, et je veux rajouter quelque chose
à cette définition ; " chaordique "
décrit simplement le comportement de tout organisme ou
système autogéré qui synthétise
harmonieusement des aspects préalablement
considérés comme opposés, tels que le chaos
et l'ordre, ou la coopération et la compétition.
Mais, avant tout, il s'agit d'une façon de
penser. En fait, tout ce que je peux vous dire sur
l'organisation chaordique, vous le connaissez déjà
. Elle existe déjà en vous, parce que vous êtes
organisé de façon chaordique. La nature a
été organisée de cette façon depuis
le début des temps, vous aussi votre cerveau,
votre système immunitaire ainsi que tout être
vivant. En ce qui concerne l'organisation chaordique dans le
domaine commercial, politique ou social, la question devient :
est-il possible de l'évoquer ? de la faire
surgir de son potentiel ?
WIE : Qu'est-ce qui vous a amené à vous
intéresser à la transformation organisationnelle ?
DH : Il y a longtemps, j'ai commencé à
me poser trois questions très simples qui ont
dominé ma vie pendant plusieurs années.
Premièrement : " Pourquoi les organisations, partout,
qu'elles soient commerciales, sociales ou religieuses, ont-elles
de plus en plus de difficulté à mener leurs
affaires ? " Deuxièmement : " Pourquoi, partout dans le
monde, des individus se sentent-ils de plus en plus en conflit
avec les organisations dont ils font partie et s'en sentent
étrangers ? " Et troisièmement : " Pourquoi la
société et la biosphère sont-elles de plus
en plus en débâcle ? " Lorsque j'ai posé ces
questions à mon auditoire il y quelques années,
elles n'avaient pas beaucoup de pertinence pour la plupart des
gens. Mais à la suite des événements
récents, tels que le 11 septembre et l'effondrement de
Enron et de WorldCom, leur validité est bien plus
évidente. Si ces constats sont vrais pour moi
leur évidence saute aux yeux , il doit y avoir
un principe profond, universel, sous-jacent, que nous n'avons
pas saisi.
WIE : Comment aidez-vous les gens à comprendre
les principes chaordiques en rapport avec les formes courantes
d'organisation qui constituent une partie importante de notre
vie ?
DH : Je me sers d'une illustration. Je demande aux
représentants de grandes entreprises : Prenez toutes vous
idées et croyances traditionnelles sur l'organisation et
appliquez-les aux neurones de votre cerveau. Organisez les
neurones de votre cerveau, cet organe infiniment
diversifié, le plus complexe qui soit apparu dans
l'histoire de l'évolution, de la même façon que
vous organiseriez une entreprise. D'abord, il faudrait nommer un
neurone PDG, n'est-ce pas ? Ensuite, vous devez décider
quels neurones vont faire partie du conseil d'administration,
puis lesquels vont s'occuper des Ressources humaines, et puis il
faudra écrire un manuel d'utilisation. Si vous pouviez
organiser votre cerveau selon ce modèle, qu'est-ce qui
arriverait ? Vous seriez instantanément incapable de
respirer jusqu'à ce que quelqu'un vous indique comment,
où, quand et à quelle vitesse. Vous ne seriez pas capable
de penser ni de voir. Et si votre système immunitaire
était organisé selon ces mêmes idées ?
D'abord il faudrait faire une étude de marché afin
de déterminer quel virus vous a attaqué, s'il
s'agit bien d'un virus. Ensuite, il faudrait rédiger un
rapport décrivant votre plan d'action. Et il faudrait que
ce rapport soit approuvé par les neurones dirigeants de
votre cerveau. Ensuite, il faudrait transmettre des mots
d'ordres à toutes les parties de votre système
immunitaire. Bon, vous voyez. Comment arrivons-nous à
croire que nous pouvons utiliser notre cerveau, qui est lui-même
organisé selon ce magnifique ensemble de principes
chaordiques, à organiser la société d'une
façon qui serait supérieure ? Cela devient
plutôt un exercice d'arrogance, une démonstration
d'ego.
WIE : Donc, vous dites qu'il n'est pas logique que
nous, qui faisons partie du grand " design " ou dessin complexe
de l'évolution, pensions pouvoir organiser la
société d'une façon supérieure
à la façon dont la nature nous a si parfaitement
organisés ?
DH : Exactement. C'est incroyablement arrogant et
stupide.
LA FIN DU FLOTTEMENT
WIE : Avant de continuer de parler des raisons pour
lesquelles nous devons dépasser nos vieux modèles,
j'aimerais vous questionner sur le climat de changement qui
entoure habituellement l'émergence des systèmes
chaordiques. Nous venons d'interviewer Don Beck, un personnage
important dans le domaine de la transformation de
systèmes à grande échelle. Il met l'accent
sur le fait que notre contexte actuel de changement
accéléré et de complexité croissante
génère le besoin de nouvelles formes
d'organisation. Nous le citons :
Nous sommes au courant de ce qui arrive n'importe où sur la
planète dix minutes après
l'événement, et la télévision l'a
filmé en direct. La complexité existait dans le
passé, mais les informations arrivaient six mois plus
tard avec le navire, ou peut-être par le
télégraphe au bout de vingt-quatre heures.
Aujourd'hui, tout ce qui se passe sur la planète se
présente sous nos yeux en temps réel. Ceci est une
des raisons pour lesquelles nous subissons autant de stress.
C'est aussi une bonne raison pour chercher de nouvelles formes
d'organisation  des ensembles de personnes  parce qu'une personne individuelle n'aura plus la
capacité de gérer mentalement ce flot
d'informations.
Vous-même avez donné naissance à une nouvelle
forme d'organisation. Ce que Don Beck décrit
correspond-il à votre expérience ?
DH : Je suis d'accord avec ce que dit Beck. Je pense
toutefois qu'il sous-estime l'enjeu. J'utilise deux notions pour
faire comprendre mon propos : le " flottement " et la
" CRUSTTI " qui est l'acronyme de Capacité de
Recevoir, Utiliser, Stocker, Transformer et Transmettre de
l'Information. Vous vous souvenez probablement des temps où un
chèque mettait souvent plusieurs semaines à faire
son chemin à travers le système bancaire. Ceci
s'appelait " flottement ". Ce flottement était
utilisé pour créer du capital à risque.
Alors, réfléchissons à d'autres formes de
flottement. Prenons le flottement de l'information (dont parlait
Don Beck) : si nous regardons quelques siècles en
arrière, il a fallu, par exemple, presque cent ans pour
que la connaissance de la fonte du minerai de fer traverse un
continent. Cela a amené l'Âge de Fer. Quand les hommes
ont atterri sur la lune, on l'a su aux quatre coins de la
planète en une seconde et demie. Pensez au flottement
technologique : il a fallu des siècles pour que la roue
soit universellement adoptée. Aujourd'hui, n'importe quel
outil microscopique peut être utilisé sur la
planète entière en quelques semaines. Regardons le
flottement culturel : avant, cela prenait des siècles
pour qu'une culture apprenne même l'existence d'une autre ou en
reçoive le moindre élément. Aujourd'hui,
quelque chose qui devient populaire dans un coin du monde peut
déferler sur les autres pays en quelques semaines.
Considérez le flottement de l'espace : en une centaine
d'années seulement, le temps d'une longue vie humaine,
nous sommes passés de la vitesse du cheval au voyage
interstellaire. Le temps de déplacement de personnes ou
de matériel qui se compte à présent en
minutes se comptait auparavant en mois. Enfin, voyez le
flottement de la vie elle même : la durée qui a
été nécessaire pour l'évolution de
nouvelles formes de vie s'effondre maintenant avec la
manipulation génétique.
Nous nous trouvons donc face à une réduction
drastique du flottement concernant le changement le temps entre ce qui était et ce qui va être, le
temps entre le passé et le futur de sorte que
le passé sert de moins en moins à prédire,
que l'avenir est de moins en moins prévisible, et que
tout contribue à accélérer le changement,
avec une seule exception : nos institutions. Il n'y a pas eu de
concepts véritablement nouveaux de l'organisation depuis
l'émergence il y a plusieurs siècles des notions
d'état-nation et d'entreprise corporative.
Encore plus importante et il faudra
réfléchir sérieusement à cette
question est l'histoire de ce que j'appelle la
" capacité de recevoir, utiliser, stocker, transformer et
transmettre de l'information ". Si nous retournons à la
première forme de vie unicellulaire, il est clair qu'elle
possédait la capacité de recevoir, utiliser,
stocker, transformer et transmettre de l'information. Cette
capacité précède la cellule elle-même,
puisque c'est la définition de l'ADN. La clé pour
comprendre ce dont parle Don Beck est de savoir que plus est
importante la capacité d'une entité de recevoir,
utiliser, stocker, transformer et transmettre de l'information,
plus cette entité est diversifiée et complexe. On
peut retracer l'évolution de cette capacité de la
particule au neutron, au noyau, à l'atome, à
l'acide aminé, à la protéine, à la
molécule, à la cellule, à l'organe, puis
à l'organisme. Ou bien, ainsi que j'aime le formuler : de
la bactérie à l'abeille à la chauve-souris
à l'oiseau au buffle qui la renvoie directement au joueur
de base-ball.
L'évolution a poursuivi son chemin et, avec le temps,
cette capacité de recevoir, utiliser, stocker,
transformer et transmettre de l'information à
échappé à l'entité individuelle pour
devenir partagée comme le chant des oiseaux, le
sonar des chauve-souris, le phéromone des fourmis, le
langage des humains. Avec la capacité de communiquer est
immédiatement venue dans l'évolution les
communautés complexes d'organismes, tels que les essaims,
les troupeaux, les tribus, etc. Le langage a été
une énorme expansion de la capacité de
traiter de l'information. La conséquence immédiate
a été un grand bond vers la complexité
sociétale. La même chose s'est passée avec les
mathématiques, le premier langage global une
énorme croissance de la diversité et de la
complexité sociétales. Avec l'imprimerie, la
capacité de traiter l'information s'est encore
élargie en incluant ce qui peut être mécaniquement
enregistré et transporté. Ensuite le
télégraphe a mené à la
capacité électronique, le téléphone
a transporté la voix, la télévision a
augmenté la capacité visuelle. Chacune de ces
expansions a été immédiatement suivie d'un
énorme croissance de la complexité
sociétale.
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