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Le Gourou et le Pandit

Casser les règles



Andrew Cohen : Nous vivons en ce début du 21ième siècle une époque extraordinaire. Il semble qu'il y ait de nos jours un potentiel d'évolution consciente sans précédent, et pourtant notre avenir collectif n'a jamais semblé plus incertain. Il y a tant de choses qui participent à l'équilibre, et je pense que la question de la transformation a plus de poids que jamais. Mais après avoir enseigné pendant seize ans un chemin spirituel qui appelle à une transformation radicale, je peux affirmer aujourd'hui sans équivoque cette vérité très simple : tout le monde veut être éveillé, mais personne ne veut changer.

Dans un état de conscience non éveillé, l'ego, ou le sens d'un moi séparé, résiste par nature à la véritable transformation. En fait, l'ego vit dans une peur profonde de la sorte d'insécurité que le changement provoque, et s'efforce constamment de créer une illusion de permanence dans un monde où tout change tout le tempset de nos jours, de plus en plus vite ! Comme nous l'avons dit lors de notre précédent dialogue, il ne fait aucun doute que l'éveil pour le 21ème siècle exige non seulement que nous cessions de résister au changement perpétuel mais, bien plus, que nous y adhérions pleinement à travers un engagement dynamique, et soumis au processus de la vie. C'est cela que je nomme éveil évolutif et c'est incroyablement passionnant et d'une constante inspiration.

Comme tu l'exprimes avec passion dans ton dernier livre
Boomeritis (" La Boumerite "), si nous ne sommes pas capables ou désireux d'évolueret, vu les temps actuels, d'évoluer rapidementnous ne pourrons probablement pas éviter une phase désastreuse de l'histoire humaine. Tu nous apportes aussi un éclairage nécessaire sur l'état de notre culture contemporaine et identifies une maladie culturelle postmoderne que tu nommes " boumerite " [ou maladie des baby boomers ou " bébé-boumeurs "de la génération du " bébé-boum "...] comme étant l'obstacle majeur à notre prochaine étape évolutive. Pourrais-tu nous expliquer en quelques mots ce qu'est cette maladie ?

Ken Wilber : Pour comprendre ce que nous voulons dire par " la boumerite ", il serait intéressant de donner une compréhension générale du contexte historique. Beaucoup de sociologues ont identifié trois phases générales de développement culturel : une culture traditionnelle, une culture moderne et une culture postmoderne. Et ces trois cultures correspondent en un sens aux trois types, ou vagues, de conscience.

La culture traditionnelle a une sorte d'orientation religieuse mythico-littérale, une orientation très fondamentaliste, avec par exemple la croyance que tout est littéralement vrai dans la Bible ou le Coran. Sa marque est une croyance en une vérité absolue et inflexiblepar exemple que le salut ne peut venir que de la croyance en Jésus ou en Allah. De telles cultures sont nationalistes, ethnocentriques, patriarcales, avec un accent sur les valeurs familiales et la bonne vieille religion.

La culture moderne a une orientation plus rationnelle, scientifique, et commerciale. Elle est née avec le Siècle des Lumières en Occident pour devenir le mode de pensée dominant de la plupart des démocraties industrialisées. Cette culture croit qu'il y a des vérités scientifiques qui sont universelles, mais qu'elles doivent être établies par la recherche et les études empiriques.

La troisième phase majeure est la culture postmoderne. Contrairement à l'orientation traditionnelle mythique et au mode moderne rationnel, l'orientation postmoderne soutient qu'il y a en réalité une pluralité de points de vue du mondequ'il y a une gamme relativiste de croyances culturelles, et que l'on ne peut dire que l'une est vraie et l'autre fausse car ce que nous appelons vérité est en réalité une interprétation. Donc l'idée dominante du postmodernisme est que la réalité n'est pas simplement donnée, mais qu'elle est construite et interprétée.

Bien que les spécialistes du développement, moi-même compris, considèrent chaque vague successive comme un niveau de développement plus élevé, plus large et plus complexe, il y a des éléments de vérité dans chacune de ces orientations. Le développement général tend donc à aller du traditionnel au moderne au postmoderne. Beaucoup d'entre nous pensons qu'il existe des niveaux ou des vagues de conscience plus élevés, mais ces trois niveaux sont ceux qui sont présents à grande échelle chez les adultes de notre monde aujourd'hui. Bien sûr dans toute société donnée, on trouve un mélange de ces cultures et de ces individus.

En Amérique, par exemple, le sociologue Paul Ray (auteur du livre The Cultural Creatives) estime que près de 20% de la population est au niveau traditionnel mythique, environ 50% au niveau moderne universel rationnel, et environ 25% au niveau postmoderne pluraliste, comprenant les créatifs culturels. La plupart des personnes susceptibles de nous écouter sont issues de ce contexte postmoderne, pluraliste, créatif de culture. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle est qu'il s'agit d'une vague de développement supérieure et plus profonde que les précédentes, et qu'elle est donc plus ouverte à des vérités plus élevées, plus profondes et plus larges, y compris certaines réalités spirituelles. La mauvaise est que chacune de ces grandes vagues de développement a sa propre pathologie, sa part d'ombre, son aspect négatif, et la vague pluraliste ne déroge pas à cette loi. Son aspect négatif, le voici : " Puisque tous les points de vue sont également justes, personne ne peut avoir raison et personne ne peut avoir tort. Ma vérité est juste pour moi et tu n'as pas le droit de dire qu'elle est fausse. "

LE COTE NEGATIF DU PLURALISME

AC : Comme tu l'expliques très clairement dans ton livre Boomeritis, ce niveau de développement postmoderne que tu es en train de nous décrire et que, dans le système de la Dynamique en Spirale, Don Beck appelle " mème vert " (ou " code vert " : voir l'article), est une position qui est intrinsèquement anti-évolutive et anti-transformative.

KW : Oui, c'est la tendance. Mais c'est délicat car ce dont le " mème vert ", autrement dit la vague de conscience pluraliste postmoderne, aime parler, c'est de transformation. Et il y a un élément de vérité dans le fait que le mème vert [les individus porteurs de ce système de valeurs ] veut se transformer, bien qu'il passe à côté de la plaque à l'occasion. Il faut se souvenir que cette vague pluraliste particulière est en fait un état de développement très élevé. Il faut garder cela à l'esprit même lorsque l'on parle de sa version pathologique. Cette vague n'a réellement pris son ampleur que dans les années soixante, les baby-boomers sont donc la première génération de l'histoire dans laquelle un pourcentage important de personnes a atteint un niveau de développement pluraliste relativement élevé. Le niveau précédent, qui est encore dominant, la vague universelle rationnelle, s'est étendue avec le Siècle des Lumières occidental et n'a lui-même qu'environ trois cents ans. Mais le mème vert, la vague pluraliste, a pris son ampleur il y a seulement trente ans. Tous les aspects " verts " positifs des années soixantey compris la protection de l'environnement, le féminisme, la réforme des lois sociales et surtout la lutte pour les droits civiquessont des produits d'un pluralisme sain et d'un postmodernisme en bonne santé. Ce sont les apports positifs des créatifs culturels, du mème vert, de la vague pluraliste. Donc, dans ce sens, c'est un événement transformateur car tout mouvement vertical dans l'échelle de développement est une transformation. Et les " boumeurs ", les créatifs culturels, représentaient une transformation allant du moderne vers le post-moderne, du rationnel au pluraliste, de " l'orange " au " vert "selon les termes que vous choisissez.

Mais une fois installés, mon Dieu, c'était pour y rester ! Et vous ne réussirez pas à les faire bouger maintenant car le revers de tout cela c'est qu'une fois atteint ce niveau, on n'a plus le droit de porter de jugement de valeur, car " l'expression de vérité de chacun est équivalente ". On ne peut dire à quelqu'un : " Ecoute, il faut que tu grandisses. Tu as un moi contracté. Il y a une réalité spirituelle plus élevée. " Il vous dira : " Comment sais-tu qu'elle est plus élevée ? Comment oses-tu me juger ? "

Donc, lorsque les gens de cette génération s'engagent sur une voie spirituelle, leur désir fondamental n'est pas de transcender l'ego mais de le confirmer, de l'exprimer et d'entendre " tout ce que tu fais est merveilleux et divin, tel(le) que tu es. " Ils viennent pour célébrer la contraction du moi, pour l'embrasser et la sentir à fond, et ils appellent cela dieu ou déesse ou esprit. Et vous ne pouvez essayer de les convaincre du contraire parce que cela impliquerait que vous portez un jugement.

Sous couvert de pluralisme qui soutient qu'aucune vérité n'est supérieure à une autre, toutes les réalités supérieures mais aussi toutes nos tendances mesquines, superficielles et narcissiques sont les bienvenues. La portée élevée du pluralisme s'est embourbée dans nos pulsions primitives, nos tendances à la contraction et à l'expression égocentriquetout cela paradant sous la bannière du pluralisme.

Pour parler simplement : la " boumerite " est le pluralisme contaminé par le narcissisme. Les très hautes vérités du pluralisme sont complètement corrompues et mises hors d'usage par l'ego qui s'en sert pour se retrancher fermement dans un lieu où l'on ne pourra jamais le défier car il n'existe aucune vérité objective qui pourrait le détruire.

AC : C'est ce type de résistance que je m'évertue à briser depuis seize ans que j'enseigne.

KW : C'est le bourbier vert, malheureusement.

AC : Pour de bon ! Lorsque j'ai lu Boomeritis, ce fut pour moi une révélation car cela m'a aidé à comprendre dans ce contexte plus large la raison pour laquelle tant de personnes montrent une résistance si grande face à mon appel au changement. Depuis que j'ai commencé à enseigner, je n'ai eu de cesse d'inviter les gens à évoluer, à se transformerà passer d'un niveau de développement plus bas à un niveau plus élevé. De façon plus spécifique, je leur demande de faire le noble effort d'aller au-delà de l'inertie, au-delà de leur résistance, au-delà de l'ego. Initialement, lorsque quelqu'un est inspiré et veut devenir étudiant, c'est comme s'il était tombé amoureux. " Ah ! c'est merveilleux ! " s'exclame-t-il. " C'est fantastique. C'est tout ce dont j'ai toujours rêvé ! ". Mais tôt ou tard arrive l'inévitable : je lui demande de changer et il se retourne contre moi avec rageune rage narcissique.

KW : Ça c'est de la boumerite jusqu'à la moelle ! Tout est merveilleux jusqu'à ce que tu portes un jugement, alors la rage narcissique prend les devants de la scène et maintenant, c'est toi, le professeur, et non pas l'ego de l'élève, qui est l'origine du problème.






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