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Quand deux ou trois se réunissent en mon nom

Extrait du livre :
Le père Arseny
prêtre, prisonnier, père spirituel



Au cours d'un hiver, un jeune homme fut assigné dans la baraque du père Arseny. Cet étudiant de vingt-trois ans était condamné à vingt années de camp. Il n'avait aucune expérience de ce genre de vie, ayant été directement envoyé dans ce camp spécial depuis la dure prison Butirki de Moscou. A son âge, il ne comprenait pas pleinement ce qui l'attendait. Dès son entrée dans le camp de la mort, il fit connaissance avec les criminels.

Ses vêtements étaient encore bons, car il n'était détenu que depuis quelques mois. Les criminels, menés par Ivan " le Brun ", décidèrent de s'emparer des effets du jeune homme. Ils proposèrent de les jouer aux cartes. Tout le monde savait que ce garçon allait bientôt se retrouver nu comme un ver, mais personne ne pouvait rien y faire ; même Sazikov n'osa pas intervenir. La règle du camp était que celui qui se mêlait de ces histoires se faisait tuer. Ceux qui séjournaient dans ce camp depuis un certain temps savaient trop bien que si les criminels décidaient de jouer leurs hardes, opposer une résistance était signer leur fin.

Ivan le Brun gagna tous les vêtements du jeune homme. Il s'approcha de lui et lui dit : " Déshabille-toi, l'ami. "

A ce moment, les choses commencèrent à se gâter. Le jeune homme, qui s'appelait Alexei, avait cru que le jeu n'était pas vraiment sérieux, et il refusa de donner ses vêtements. Ivan le Brun décida d'en faire un spectacle. Il prit d'abord des airs gentiment moqueurs puis finit par donner des coups. Alexei essaya de résister, de se défendre, mais bientôt toutes les baraques savaient qu'il serait tabassé jusqu'à ce qu'il ne puisse plus bouger, ou même jusqu'à la mort. Tout le monde restait assis immobile à regarder Ivan s'acharner sur Alexei. Il saignait de la bouche, du visage, et chancelait. Certains des comparses faisaient semblant de l'encourager à se battre.

Le père Arseny n'avait pas vu le début du combat ; il était occupé à empiler des bûches près d'un poêle à l'autre bout du baraquement. Il vit soudain ce qui se passait. Ivan allait tuer Alexei. A ce moment Alexei ne pouvait que protéger son visage de ses mains. Ivan n'arrêtait pas de le gifler violemment et de le cogner. Le père Arseny déposa silencieusement ses bûches près du poêle, arriva calmement jusqu'à la scène et, à la stupéfaction de tous, agrippa le bras d'Ivan le Brun. Ce dernier parut ahuri, et même choqué. Le bon père était intervenu dans une bagarre ! Cela signifiait qu'il devait mourir. Ivan détestait le père Arseny. Il n'avait jamais osé le toucher par peur des autres baraques, mais maintenant il avait une bonne raison de le tuer.

Ivan arrêta de rosser Alexei et dit : " Okay. Pop, c'est la fin de vous deux. D'abord l'étudiant, ensuite toi. " Un couteau apparut dans sa main et il le brandit vers Alexei.

Qu'arriva-t-il ? Personne ne comprit, mais soudain le gentil pope fragile se redressa et envoya un coup si fort sur le bras d'Ivan que ce dernier lâcha son couteau. Puis d'une poussée il éloigna Ivan d'Alexei. Ivan trébucha et tomba. Son visage heurta le coin d'un lit. Le père s'approcha d'Alexei et lui dit : " Va, Alyosha, lave ton visage, plus personne ne te fera de mal. " Puis, comme si rien n'était arrivé, il partit se remettre à sa tâche.

Tout le monde était abasourdi. Ivan le Brun se releva. Les criminels ne dirent pas un mot. Ils comprenaient qu'Ivan avait perdu la face devant toutes les baraques. Quelqu'un essuya discrètement le sang du sol avec son pied. Le visage d'Alyosha était complètement tuméfié, une oreille déchirée, un œil fermé, l'autre sanguinolent. Tous étaient plongés dans le silence. Ils savaient que tout était fini maintenant pour Alexei et pour le père Arseny. Les criminels les tueraient tous les deux.

Pourtant, les choses tournèrent différemment. Les criminels virent dans le comportement du père Arseny un acte de bravoure et d'audace. Alors que tout le monde craignait Ivan, Arseny, lui, n'avait pas faibli quand Ivan le Brun avait brandi un couteau, et ils respectaient un homme qui ne montrait pas de peur. Ils connaissaient déjà le père Arseny pour sa bonté et ses manières inhabituelles ; à présent ils le respectaient pour son courage. Ivan fit retraite vers sa couchette, parla tout bas avec ses amis, mais il sentit qu'ils ne le soutenaient pas vraimentils n'étaient pas venus immédiatement à son aide.

La nuit passa. Au matin, tout le monde partit au travail. Le père Arseny s'occupait des poêles, nettoyait, grattait le plancher. Le soir, les prisonniers revinrent du travail et, soudain, juste avant que les baraques ne soient verrouillées pour la nuit, le surveillant arriva en courant accompagné de plusieurs gardiens.

" Attention ! " cria-t-il. Tous les hommes sautèrent à bas de leur couchette. Il se tinrent debout immobiles tandis que le surveillant passait le long des rangs. Lorsqu'il fut devant le père Arseny, il se mit à lui envoyer des coups. Pendant ce temps, des gardiens traînaient Alexei depuis sa place pour le faire entrer dans le rang.

" P18376 et P281, à la punition en cellule numéro 1 pour 48 heures sans eau ni nourriture, pour avoir enfreint les règles du camp en vous battant ", hurla l'officier.

Ivan les avait dénoncés aux autorités. Agir ainsi était considéré par les criminels comme l'acte le plus bas et le plus méprisable possible.

Le " trou " numéro 1 était une maisonnette située à l'entrée du camp. Plusieurs pièces y étaient réservées à la réclusion solitaire ; une autre contenait en guise de lit une planche large de cinquante centimètres destinée à deux personnes. Sol et murs étaient recouverts de feuilles de métal. Cette pièce mesurait deux mètres de long sur soixante-quinze centimètres de large. Dehors, il faisait moins trente degrés, le vent soufflait, il était difficile de respirer. Il suffisait de faire un pas dehors pour devenir immédiatement paralysé de froid. Les occupants des baraques savaient ce que cela signifiait : une mort certaine. Le père Arseny et Alexei seraient gelés dans les deux heures. On n'avait jamais envoyé personne dans cette cellule par un froid pareil, sauf, occasionnellement, pour vingt-quatre heures. Les seuls qui soient restés en vie entre moins vingt-cinq et moins trente degrés étaient ceux qui avaient pu sauter sur place tout au long des vingt-quatre heures pour empêcher leur sang de geler. Si on arrêtait de sauter, on gelait. Et le père Arseny était un vieil homme, et Alexei venait d'être battu, et les deux hommes étaient épuisés.

Les gardiens les saisirent tous les deux et les tirèrent de force hors du baraquement. Avsenkov et Sazikov osèrent sortir du rang et dirent à l'officier : " Camarade Officier, ils vont geler à mort par ce temps. Vous ne pouvez pas les envoyer à cette cellule ! " Le surveillant leur allongea à chacun une telle gifle qu'ils volèrent avant de s'assommer contre le mur.

Ivan le Brun baissa la tête. La peur commençait à la tenailler maintenant qu'il se rendait compte que ses propres confrères allaient le tuer pour ce qu'il avait fait.

Le prêtre et le jeune homme furent poussés brutalement dans la cellule. Ils tombèrent, leurs têtes heurtant durement le mur. Il faisait un noir de four à l'intérieur. Le père Arseny se releva. " Alors, nous y voilà. Dieu nous a réunis. Il fait froid, Alyosha, et il y a du métal tout autour de nous. "

Ils entendirent la porte extérieure se fermer, les serrures cliqueter, les voix et les pas des gardiens s'éloigner. Le froid les saisit et leur comprima la poitrine. Par la petite lucarne à barreaux la lumière laiteuse de la lune pénétrait dans leur prison.

" Nous allons geler, père Arseny, gémit Alexei. C'est à cause de moi que nous allons geler. Nous allons mourir tous les deux. Il faut bouger tout le temps, il faut sauter, mais c'est impossible de faire ça pendant quarante-huit heures. Je me sens déjà tellement faible, tellement sonné. Mes pieds sont déjà gelés. Et il n'y a pas de place ici. On ne peut même pas bouger. Père Arseny, nous allons mourir. Ils sont inhumains, ce serait mieux d'être fusillé ! " Le père resta silencieux. Alexei commença à sauter, mais cela ne le réchauffait pas. Il était vain de tenter de résister à un tel froid.

" Pourquoi ne dites-vous rien, père Arseny ? " cria Alexei.

Comme venue de très loin la voix du prêtre lui répondit : " Je prie Dieu, Alexei ! "

" Qu'est-ce qu'il y a à prier quand nous allons geler ? " marmonna Alexei.

" Nous sommes ici tout seuls, Alexei ; pendant deux jours, personne ne va venir. Nous allons prier. Pour la première fois, Dieu nous a permis de prier tout haut dans ce camp, à pleine voix. Nous allons prier, et le reste est la volonté de Dieu ! " Le froid était en train de vaincre Alexei. Pour lui, le pauvre pope perdait l'esprit. Arseny fit le signe de la croix et prononça doucement quelques mots, immobile dans le rai de lune. Les mains et les pieds d'Alexei étaient totalement gourds. Il n'avait plus aucune force dans les membres. Il se gelait et il ne se souciait plus de rien.

Le père Arseny était silencieux à présent. Soudain, Alexei entendit clairement ses mots et comprit qu'il s'agissait d'une prière. Alexei n'avait été à l'église qu'une fois, par curiosité. Sa grand-mère l'avait baptisé lorsqu'il était enfant mais sa famille ne croyait pas en Dieu. Ils ne s'intéressaient pas aux choses religieuses, ne savaient pas ce que pouvait être la foi. Alexei lui-même était étudiant, membre du Komsomol. Comment pouvait-il croire ?

Au-delà des douleurs des coups reçus, de la torpeur de son corps gelé, il distinguait nettement les mots que prononçait le prêtre : " Ô; Seigneur Dieu, aie pitié de nous pêcheurs ! Dieu toujours compatissant ! Seigneur Jésus Christ qui à cause de Ton amour s'est fait homme pour nous sauver tous, par Ta miséricorde indicible sauve-nous, aie pitié de nous et emmène-nous loin de cette mort cruelle, parce que nous croyons en Toi, Toi notre Dieu et notre Créateur. " Ainsi se déversaient les mots de prière, chacun rempli d'amour profond et de confiance dans la miséricorde divine, et de foi inconditionnelle en Lui.





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