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Pourquoi Sri Aurobindo est cool
What is enlightenment? prouve que parfois, même les gourous morts vous bottent les fesses
mené par Craig Hamilton
« Sri Aurobindo est cool », ai-je lancé à Andrew Cohen, mon maître spirituel et rédacteur en chef.
Mais Andrew a répliqué :« Oui, nous, on sait ça, mais comment va-t-on le communiquer à nos lecteurs ? »
« Est-ce qu’il ne suffirait pas de leur raconter tout simplement son incroyable histoire ? Regarde ce que je veux dire : “Un combattant controversé de la liberté atteint l’éveil en prison et délaisse la conduite de la révolution pour devenir l’un des plus grands philosophes/yogis et penseurs de l’évolution qui aient jamais vécu.” Tu dois reconnaître que ça fait un sacré titre ».
Andrew sourit : « Peut-être pour le Times de l’éveil. Mais écoute, il y a quand même un problème : c’est un gourou mort, ça ne fait pas de doute ; un gourou mort étonnant, probablement un des gourous morts les plus extraordinaires que le monde ait jamais connu… Mais regarde les choses en face : c’est une vieille histoire. Nous, c’est What Is Enlightenment (Qu’est-ce que l’Eveil). On est à la pointe. Il s’agit d’une recherche vivante ; on ne s’occupe pas des gourous morts. Et comme l’a dit Adi Da… »
« …les gourous morts ne vous bottent pas les fesses ! » firent en chœur mes collègues, mettant un pont final à sa phrase.
Je n’arrivais pas à croire que la conversation prenne ce tour, et j’ai bondi : « Et Babaji, alors ? Personne n’a l’air d’apporter la preuve qu’il ait jamais vécu, mais lui, on en parle ! »
Andrew s’esclaffa : « Les sages immortels, c’est une chose, mais il est incontestable que ça fait cinquante ans que Sri Aurobindo est sous terre. Je sais que pendant quatre jours, son corps n’a pas commencé à se décomposer, et que cela a étonné les médecins, mais je n’aimerais pas le voir maintenant ».
« Bon, mais Swami Vivekananda est dans ce numéro, et il ne crève pas vraiment le top 50 des conférences, hein ? »
Avec ce coup-là, j’étais sûr de l’emporter.
« Ça va bien de publier un extrait du livre d’un quidam, répondit Andrew, mais tu demandes qu’on t’expédie jusqu’en Inde pour faire une recherche en profondeur sur quelqu’un dont on peut tout savoir en consultant le net. »
« Ecoute, insistai-je, on est en train de faire un numéro sur l’éveil évolutif ; il y en a combien qui savent seulement de quoi il retourne ? De nos jours, tout le monde croit que l’éveil, c’est l’aboutissement, le final merveilleux, l’ultime explosion dans le nirvana sans retour. Mais Sri Aurobindo a COMPRIS, et il a été le premier à comprendre. Et il l’a compris comme peu l’ont jamais compris depuis. C’est sûr que les gens peuvent se renseigner sur lui en consultant le net, mais il faut qu’avant, ils découvrent à quel point il était étonnant. C’est pour ça que je veux faire cet article, pour le leur dire. Et pour le faire vraiment comme il faut, je pense qu’il faut que j’aille en Inde, pour visiter son ashram et parler avec les gens qui l’ont connu, pour saisir la vraie histoire, de l’intérieur. »
Andrew me fit signe de m’asseoir et dit : « Ecoute, ça va. Je ne peux pas discuter ce que tu dis, et je ne dirai pas qu’il n’est pas question que tu le fasses, mais avant que je sois d’accord pour t’envoyer à l’autre bout du monde, il faut que tu trouves comme un biais, une façon de ramener Sri Aurobindo à la vie qui soit dans le coup, moderne, intrigant, et par-dessus tout, qui colle à l’éveil au vingt et unième siècle. Ce ne peut pas être seulement une resucée de la vieille histoire. Penses-y, et on en reparlera demain. »
Et tandis que nous mettions un point final à notre conférence de rédaction quotidienne, je ne pouvais faire davantage pour contenir mon excitation. Cela avait été rude, mais j’avais mis un pied dans la porte, comme je l’espérais.
J’étais arrivé à cette réunion de l’après-midi, avec une pile de livres sur le sage Sri Aurobindo, ce pionnier du vingtième siècle, en sachant que j’avais des dispositions pour ce travail. Même si je ne doutais pas de l’extrême respect qu’avait chaque membre de l’équipe pour son œuvre, je savais qu’une histoire dont la vedette était un grand personnage du passé, qui plus est dans un numéro sur l’avenir, était dure à vendre.
D’entrée, un de mes collègues avait demandé : « est-ce qu’il n’est pas extrêmement difficile à lire, comme s’il avait eu un croisement génétique avec un philosophe allemand, ou un truc comme ça ? » Je ne pouvais nier que sa lecture était raide, car il avait fait en Latin et en Grec ses premières armes dans l’écriture, deux langues dans lesquelles les longues phrases sont effectivement une sorte de sommet de l’art. Cependant, je savais que ma seule chance de l’emporter passait par une lecture à haute voix de quelques passages.
L’animal est un laboratoire vivant dans lequel la Nature a, pour ainsi dire, façonné l’homme. Et l’homme lui-même pourrait fort bien être un laboratoire vivant et pensant dans lequel, et avec la collaboration consciente duquel, Elle entend façonner le surhomme, le dieu.
Cela capta leur attention, et j’en lus un peu plus :
…car pour le plein et parfait accomplissement de la poussée évolutive, une illumination (spirituelle) et un changement doivent s’emparer pour le recréer de l’être tout entier, esprit, vie et corps : il ne doit pas seulement s’agir d’une expérience intérieure de la divinité, mais d’un remodelage par Son pouvoir de l’existence intérieure et extérieure tout à la fois ; cela ne doit pas seulement prendre forme dans la vie de l’individu, mais aussi en tant que vie collective d’êtres gnostiques érigés en pouvoirs et formes les plus élevés du devenir de l’esprit dans la terre-nature.
Je lus quelques autres pages de la même veine et jetai un coup d’œil circulaire sur leurs visages. Ce ne fut pas une surprise : ils étaient captivés. Tout au long de notre recherche sur ce sujet, nous avions rencontré des penseurs de l’évolution extraordinaires, mais les paroles de Sri Aurobindo étaient porteuses d’un poids spirituel sans égal chez ceux que nous avions lus, un poids qui avait une grande signification au vu du sujet de notre numéro, et au vu des raisons qui étaient les nôtres pour choisir ce thème maintenant. Car l’idée de faire un numéro sur l’évolution et l’éveil avait germé sous l’effet d’une série de percées inattendues dans la pratique collective de notre communauté spirituelle ; et ces percées, à moins que nous ne soyons tous cinglés, paraissaient suggérer beaucoup de choses sur la relation entre l’éveil et le potentiel de l’humanité quant à une évolution collective ultérieure. Car jusque-là, aucune des religions traditionnelles n’avait pu éclairer notre expérience ; mais, page après page, le message de Sri Aurobindo se manifestait de manière très claire.
Bien que cette lecture à voix haute de Sri Aurobindo ait rendu notre équipe éditoriale curieuse d’en apprendre davantage sur ses enseignements, elle ne m’avait rapproché de mon but que d’un poil, et lorsque je sortis de la réunion, cet après-midi-là, il était clair que je devais me montrer bien plus persuasif avant de pouvoir partir pour l’Inde. Mais cette nuit-là, comme je ruminais les moyens qui pourraient convaincre le monde que Sri Aurobindo était cool, il me vint un éclair subit de ce que j’espérais être l’inspiration. Et après avoir passé la plus grande partie de la nuit à tenter de le formuler, je me présentai à la réunion suivante, prêt pour la prochaine manche.
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