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Un esprit comme de l'eau
Entretien avec Vernon Kitabu Turner
mené par Simeon Alev
WIE:Quelle est, selon vous, le rapport entre l'Eveil et la maîtrise de soi ?
KITABU TURNER:L'Eveil, avant toute chose, est d'arriver à la compréhension qu'il n'y a pas de soi au sens conventionnel du terme. Les gens ont tendance à considérer le soi comme "bon, je suis le type qui a fait cette université-là, qui a eu ces parents-là, et je suis le type qui a obtenu un diplôme de comptabilité, j'ai parcouru tout ce chemin et accompli toutes ces choses". En fait, c'est un soi purement illusoire que celui dont nous parlons ici. L'Eveil est d'arriver au point où l'on comprend, où l'on fait l'expérience, qu'il n'y a pas de soi objectif - il y a l'être, mais il n'y a pas de soi objectif -, et c'est dans le mouvement de renoncement à cette notion de soi, que l'on fait l'expérience de ce que l'on est véritablement, au sens universel. C'est alors que l'Eveil arrive, lorsque vous prenez conscience que vous n'êtes pas aux commandes. Et pour cette raison, vous êtes tout à fait aux commandes.
WIE:Et comment distingueriez-vous cela de la maîtrise de soi ?
KT: L'Eveil, c'est l'ouverture d'un oeil de perception sur la réalité ultime de l'existence même. Mais sur un plan fini, l'application de cela est la maîtrise de soi. Du point de vue de l'Eveil, il n'y a personne ici - il n'y a pas de "vous" qui agit par opposition à telle ou telle personne ; votre expérience est complète, entière, elle contient le cosmos. Mais lorsque cet Eveil s'exprime à travers la forme, comme dans l'acte de marcher dans la rue, de parler, se comporter, alors son éclat brille à travers le regard d'une entité unique, et c'est alors qu'il est reconnu comme "maîtrise de soi".
WIE:Pensez-vous que la distinction puisse être plus profonde encore ? Si je pose cette question, c'est que conventionnellement on associe la maîtrise de soi à l'idée d'un moi puissant et irrésistiblement positif, et incontestablement à une notion très claire de soi-même - à une identité. L'Eveil, d'un autre côté, même lorsqu'il se manifeste dans le temps et l'espace, est traditionnellement compris, ainsi que vous le disiez, comme la dissolution ou la transcendance de toute perception de soi en tant qu'être "séparé", que cette perception soit positive ou négative.
KT:Lorsqu'une personne éveillée est immobile, elle est "l'Eveil", mais dès lors qu'elle se met en mouvement, elle devient, comme je le disais, la maîtrise de soi, parce que dès l'instant où vous bougez, vous devez agir dans le monde des détails, vous devez marcher, parler, travailler, faire toutes ces choses-là. Maintenant, ceux qui observent votre capacité à fonctionner dans ce monde vont vous voir dans cet état intensifié de réalité. Ils vont voir la façon dont vous vous comportez et ils vont vous attribuer des choses extraordinaires. Le fait est, cependant, que dans l'Eveil, vous ne vous attribueriez pas nécessairement ces choses-là à vous-même, et c'est la différence principale. Et puis aussi, l'expérience de l'Eveil ne s'applique à rien en particulier, alors que la maîtrise de soi peut être rattachée à certains domaines. Ainsi, vous pourriez exercer votre maîtrise dans bien des domaines, sans être éveillé pour autant, au vrai sens du terme.
WIE:Les arts martiaux semblent représenter un champ particulier de maîtrise, cependant vous les décriviez comme un chemin vers l'Eveil. Qu'est-ce qui fait des arts martiaux un chemin vers la transcendance ou l'expérience du "non soi", plutôt que simplement un ensemble de moyens puissants pour développer sa force, sa compétence, sa maîtrise ou un sens d'accomplissement personnel ?
KT:Cela peut être envisagé des deux façons. La personne qui étudie simplement les arts martiaux aujourd'hui - comme c'était le cas aussi autrefois - le fait parce qu'elle veut trouver la force physique qui lui permettra d'assujettir un ennemi, de se protéger elle-même, ou pour avoir un sentiment de pouvoir personnel. Il y avait aussi le fait d'être agressif ou guerrier en tant que moyen de gagner sa vie, et dans ce cas, c'était un métier. Mais d'un autre côté il y avait aussi les gens spirituels. On oublie que Bodhidharma, le vingt-huitième patriarche du Bouddha, fut celui qui posa les bases de ce que l'on connaît aujourd'hui sous le nom de Shaolin Kung Fu. Au cours d'un voyage vers la Chine, il prit conscience des dangers que représentaient les voleurs qui l'attaquaient sur la route pour lui dérober les registres importants qu'il transportait. Alors, il médita, et il lui fut révélé d'observer attentivement les animaux. Avec le temps, il mit au point ce qui serait appelé plus tard les "dix-huit mouvements de Lo Han". Ces dix-huit mouvements évoluèrent pour devenir le Shaolin Kung Fu, et inspirèrent beaucoup d'autres formes d'arts martiaux par la suite. L'idée était qu'une personne qui travaille pour le bien de l'humanité ne développe pas une nature agressive mais un centre de gravité pacifique, que son objectif est de défendre et non d'attaquer, défendre son propre corps, défendre des êtres chers, défendre les plus faibles que soi - et de ne désirer, jamais, faire du tort même à celui qui l'attaque, et de ne s'autoriser, jamais, à devenir comme ces êtres malfaisants qui cherchaient à le détruire. C'est lorsque vous avez fait grandir en vous cette résolution que le chemin spirituel se révèle à vous et commence à vous guider dans la bonne direction. Vous direz : "Non, je ne ferai pas de mal aux autres. Je ne serai pas une personne agressive et violente. Mais je ne resterai pas non plus assis là à regarder quelqu'un se faire démolir, tout en sachant que je devrais tendre la main et offrir de l'aide."
C'est exactement ce qui m'est arrivé. Quand les petites brutes me voyaient assis sous un arbre ou en train de lire un livre, ils ne pouvaient pas le supporter, pour je ne sais quelle raison. Alors ils s'approchaient, faisaient tomber le livre de mes mains à coups de pied et me battaient. Je me faisais frapper tout le temps. Alors un jour, j'ai commencé à prier en disant : "Apprenez-moi à me défendre". J'avais lu dans la bible que David était un grand guerrier, et il y avait une Ecriture, Psaume 144, qui disait: "Béni soit le Seigneur, ma force, qui enseigne à mes doigts à lutter et à mes mains à faire la guerre." Alors j'ai dit : "Je suis votre fils. Apprenez-moi aussi et je n'en abuserai jamais." Je suis sorti dans le jardin et j'ai commencé à m'exercer et m'entraîner, croyant que je serais guidé vers les bons gestes et que je finirais par comprendre. Et le résultat c'est que finalement les petites brutes ne pouvaient plus me vaincre.
Lorsque vous vous engagez sur ce chemin spirituel là, l'action ne vient pas de vous. Je me souviens de cette première fois où j'ai pris conscience que mon corps pouvait bouger mais que je ne le bougeais pas : quelqu'un m'a envoyé un coup de poing, ma main l'a arrêté et l'a envoyé au sol, alors que je ne connaissais même pas cette parade. Ensuite, comme je lâchais prise de plus en plus, j'ai découvert que la maîtrise était déjà là. Je devais juste me retirer du chemin pour la laisser émerger, se manifester. Assez vite, j'étais capable de me servir de cela comme base pour enseigner aux autres la spiritualité en tant que réalité pratique. Les Japonais appellent cela mushin - l'art du "non mental". C'est lorsqu'il n'y a pas de tentative consciente d'agir et que cependant vous bougez quand même ; lorsque l'action vient d'une telle profondeur qu'il n'y a personne pour se l'approprier. L'expérience de cette coexistence - de cette protection qui est là en vous - est très puissante et réaffirme ce que de nombreux ouvrages et écritures anciens disent : "Celui qui est en vous est bien plus grand que celui qui est dans le monde."
WIE:Traditionnellement, je sais que l'on dit que du point de vue de l'Eveil, à la minute où vous pensez être celui qui agit - à la minute ou vous vous identifiez à celui qui accomplit l'action - vous devenez l'expression même de l'ignorance. Pourtant, même après tout ce que vous venez d'expliquer, je trouve difficile de ne pas supposer que la maîtrise d'une discipline exigeante comme un art martial ne requiert pas une solide perception de soi en tant qu'individu puissant, une compréhension claire et précise de ce que l'on est en train de faire, ainsi que la volonté de l'emporter avec une grande confiance en soi. De ce point de vue, bien sûr, il semble y avoir une contradiction intrinsèque entre l'Eveil et la maîtrise d'un art martial. Mais votre expérience paraît suggérer que ce n'est pas le cas.
KT:Ça ne l'est pas. Ça dépend seulement de la personne qui l'aborde. La plupart des gens l'abordent sur un plan fini - en tant que capacité physique et mentale. Ils développent leur rapidité, leur agilité, leur grâce, à l'aide d'efforts physiques, d'entraînement, tout ce genre de choses. Ce sont ceux qui se présentent comme : "Je suis le mec le plus dur, ici. Je peux tous vous tomber, les mecs." Mais celui qui aborde l'art martial à travers le spirituel est humble, et si on venait à le provoquer de cette manière, il répondrait : "Oui, tu le pourrais sans doute. Je le vois bien. Regarde-moi tous ces muscles. Vise-moi tout ça. Hé, tu es trop fort pour moi." Mais s'ils venaient à l'attaquer, ils ne trouveraient là personne à attaquer - bien que la personne soit physiquement sous leurs yeux ! J'ai été testé par des ceintures noires septième dan et autres maîtres du plus haut niveau, et je leur ai demandé de m'expliquer ce qu'ils ressentaient lorsqu'ils m'attaquaient. Ils disent: "C'est comme si tu n'étais pas là." Ils disent: "Je croyais que je te tenais, mais tu étais parti". C'est parce que le mouvement vient d'un lieu plus élevé, et sait ce que l'autre personne va faire. Moi, je ne sais pas ce que l'autre va faire, mais lorsqu'il tente une action, il découvre que son geste est contrecarré. Beaucoup de gens disent : "Je veux apprendre ta technique ; c'est une technique fantastique." Mais je dis : " Je n'ai aucune technique. Oui, vous avez vu ce qui semble être une technique. Mais ce n'est pas une technique parce que je ne l'ai pas appliquée. Ce que vous devez apprendre, c'est comment venir de ce lieu où toutes les techniques existent déjà, et où celle qui est adéquate sera là en cas de besoin." Et j'essaye aussi d'apprendre aux gens qu'il y a une différence entre un maître d'un art martial et un guerrier. Le maître d'un art martial, incarne exactement ce que les mots signifient - c'est une personne qui étudie les arts de la guerre. Mais un guerrier, c'est l'individu lui-même. Il n'a pas besoin d'une ceinture noire pour être un grand guerrier ; il a l'attitude d'un guerrier, l'esprit d'un guerrier. Et il n'a pas besoin d'être un grand athlète non plus parce qu'il a le cœur d'un guerrier et l'âme d'un guerrier, de sorte que lorsque le moment arrive, lorsqu'il fait face au danger, il devient d'acier et fait ce qu'il a à faire, sans peur aucune. Si vous êtes un maître en art martial vingt-quatre heures par jour, sept jours sur sept, c'est alors votre seul projet et c'est tout ce que vous êtes. Mais si vous êtes un guerrier, vous êtes un père lorsque votre enfant vient à vous, un mari lorsque votre femme vient à vous, un ami lorsque votre pote vient à vous - vous vous adaptez à tous ces différents rôles, et cependant aucun de ces rôles n'est vous. C'est dans cet état d'esprit que lorsque la bataille commence, vous êtes prêt. Parce que rien ne vous retient, tout est à votre disposition. C'est ainsi que ça marche.
WIE:Dans votre livre L'Ame Epée, vous vous décrivez vous-même comme ayant été "un légendaire défenseur du faible" qui "n'hésitait pas à venir à la rescousse des victimes des gangs et autres auteurs de violences."
KT:Oui, j'ai tenu cette promesse que j'avais faite lorsque j'avais prié Dieu, étant enfant. Quand je suis monté à New York dans les années soixante, c'était complètement contrôlé par les gangs, et dès que quelqu'un se faisait battre, je n'hésitais jamais à entrer au cœur de la bagarre pour en extraire l'attaquant. Vous voyez, ce qui se passe avec l'esprit, c'est que l'esprit peut dire des choses que vous ne diriez jamais vous-même, parce que vous savez que vous ne pourriez pas être à la hauteur - et probablement que vous ne pourriez même pas penser de telles choses. Ainsi, quand le gang du coin a fait cercle autour de moi dans le sous-sol de l'église baptiste de Livingstone, alors que je n'étais à New York que depuis quelques semaines, j'ai dit : "Comment voulez-vous que je m'y prenne ? À un contre un, ou bien vous préférez que je combatte tout le groupe ?" Alors là, tous ceux qui se tenaient autour se disaient : "Bigre, celui-là doit être vraiment bon, ou bien il est fou." Alors le type nommé Karaté s'est approché, leur seigneur de la guerre dont les gens disaient : "C'est un tueur. Il a été en prison pour meurtre." J'avais entendu parler de Karaté - son nom était écrit sur tous les bâtiments en graffiti - et donc c'était un de ces moments comme on en voit au cinéma. Ils disaient tous "C'est lui, Karaté! Tue-le ! Fais-en un exemple !" Karaté m'a regardé et a dit : "Je vais te tuer." Moi j'ai dit : "Eh bien, peut-être, mais auparavant je vais t'arracher tellement de morceaux que les gens sauront à jamais que tu t'es battu avec Vernon." Je l'ai regardé et il m'a regardé, et puis il a mis ses bras autour de moi. Il a fait de la place à la table et a dit : "Apportez-nous à boire !" Il a offert de me donner une fille. J'ai dit : "Non merci." Il a offert de me donner un appartement - vous savez les gangs contrôlent ce genre de choses. "Non, ai-je dit, j'ai déjà le mien, mais j'apprécie vraiment cet honneur."
Ainsi, ils ont fait de moi un seigneur de la guerre d'honneur et ne m'ont plus jamais ennuyé. Au lieu de me descendre, au lieu de faire de moi un exemple, ils m'ont honoré parce que dans aucune des bagarres dans lesquelles je m'étais retrouvé face à eux, je ne m'étais jamais vanté ni rien. Je les ai toujours aidé à se relever, je m'excusais et expliquais qu'il n'était pas dans mon désir de leur faire mal, mais qu'ils m'avaient mis dans une position qui ne m'avait pas laissé de choix. Je les ai toujours traités en gentlemen et, ainsi, ils n'avaient pas envie de me tuer. C'était une expérience gagnante, voyez-vous ? Parce qu'ils me respectaient. Et dès que quelqu'un disait : "Mais qu'est-ce que c'est que ce gars qui a débarqué en ville et qui vous a tous battus ?", ils répondaient : "C'est notre seigneur de la guerre ; il est des nôtres." Mais je n'étais pas un membre de gang ; c'était un compromis.
WIE:Quelle était la source de votre confiance ? A-t-elle toujours été la même, ou a-t-elle changé à un certain moment ?
KT:Il y a une différence entre la source de ma confiance, tout court, et ma confiance en ma capacité de défense. Ces deux sortes de confiances ont commencé à se manifester à des époques différentes. Je suis né dans une famille chrétienne, et nous allions à l'église tout le temps - je veux dire, dès que les portes étaient ouvertes, nous étions à l'intérieur ! Et nous avions aussi des rituels de vénération à la maison ; avant d'aller au lit, nous devions prier et étudier la Bible, et toutes ces choses - donc, je venais de ce genre de famille. Maintenant, là d'où je ne venais pas, c'était d'une famille qui s'asseyait dans le noir ou sous les arbres pour méditer, et personne ne savait pourquoi je faisais cela. Mais dans cette méditation, dans ce silence, j'entrais en contact avec la source de la vie en moi, et j'étais en rapport direct avec elle. Ainsi, dans ce calme et ce silence, je me sentais tranquille et entier, et quand les gens commençaient à m'attaquer, j'avais deux sentiments : l'un était que je savais exactement quoi faire pour arrêter l'agression et le second sentiment était de ne vouloir faire de mal à personne. En tout cas, chaque fois que quelqu'un s'apprêtait à me frapper, je savais ce qui allait arriver, et je savais également : "je pourrais arrêter cela".
Mais même avec tout cela, je n'avais toujours pas la confiance nécessaire pour agir. C'est seulement lorsque j'ai commencé à chercher, puis à "réaliser", que j'en ai eu tout bonnement assez de me faire tabasser, ou que j'en ai eu assez d'essayer d'arrêter une bagarre en me faisant tabasser, parce qu'alors j'avais découvert les moyens de demander à Dieu : "Si vous m'apprenez, je protégerai les gens." J'avais entendu parler de Kitty Genovese qui avait été poignardée dans le Queens, et cela m'avait touché. J'avais seulement neuf ans alors, et j'étais blessé de ce que personne parmi les témoins de la scène n'avait cherché à l'aider. C'est ce qui m'a poussé à chercher à devenir suffisamment fort pour être capable d'aider toute personne en difficulté ; je ne voulais pas passer à côté d'une personne en danger sans rien faire, et je préférais mourir en me battant pour la sauver, plutôt que de passer mon chemin et mourir toute ma vie, sachant que je n'aurais même pas essayé de l'aider. Donc, quand j'ai commencé à approfondir cette question et à m'entraîner, les choses ont commencé à changer en moi, et tout cela faisait partie d'une grande expérience dans laquelle je n'étais pas celui qui faisait l'expérience, je ne faisais que rassembler tout ce qui avait toujours été là. Voyez-vous, ces choses étaient enseignées - elles étaient dans la Bible - et quand j'allais à l'église, je les entendais tout le temps. Ce que je commençais à comprendre, c'est que les gens n'appliquaient pas les enseignements à eux-mêmes. Ils croyaient que David pouvait terrasser Goliath, mais pas qu'eux-mêmes puissent le faire. Mais mon sentiment était que cet esprit qui avait été avec David était aussi en moi, et que, pour cette raison, douter que cet esprit puisse m'aider revenait à insulter le Créateur. Dans mon esprit, c'était très simple : si le Créateur était aussi en moi, alors pourquoi me tournerai-je vers David ?
WIE:Vous avez écrit qu'une transformation dans votre pratique des arts martiaux est survenue peu de temps après votre rencontre avec le maître zen Nomura Roshi, que cette transformation fut catalysée par votre initiation à la méditation zen, pratique nommée shikan-taza, et en particulier par un satori, une expérience d'éveil puissante, survenue pendant votre pratique. Est-ce que le but de votre pratique des arts martiaux a changé de manière substantielle après cette expérience, ou bien est-il resté plus ou moins identique à ce qu'il avait toujours été ?
KT:Le but de ma pratique n'a pas changé parce qu'il n'avait jamais été mon intention d'être une terreur, et que, j'avais la capacité de me battre avant d'avoir cette expérience en shikan-taza. Ce qui s'est passé, toutefois, c'est que ma pratique a pris de la profondeur. Ma méditation jusqu'alors m'avait fait connaître mon véritable lieu, mais j'avais encore besoin d'autre chose, et lorsque j'ai rencontré Nomura Roshi, j'ai pris soudain conscience de quelque chose en dehors de moi, quelque chose qui était au-delà de ce dont je faisais l'expérience, et j'ai vu qu'il me fallait faire un bond. J'avais construit des murs tout autour de moi, qui devaient être démolis. Alors, pendant deux ans, j'ai pratiqué le lâcher prise, ou plutôt le laisser tomber - laisser tomber le corps et l'esprit. Je me souviens que lorsque j'étais assis, j'ai plusieurs fois éprouvé une grande peur, car je sentais que j'étais en train de mourir. J'avais très peur. Je me disais "Oh, mon Dieu, je vais mourir, quelque chose est en train de m'arriver, je vais mourir." Mais je recevais le conseil de continuer et de me laisser aller à cette mort, alors j'ai décidé de faire précisément cela. J'ai dit "Bon, la prochaine fois que ça se reproduit, avec la vie que je mène maintenant, je vais simplement lâcher prise. Je ne sais pas ce que je fais ici : quel est le sens de tout ça, de toute façon ? Si je meurs, eh bien soit." Ainsi, par Nomura Roshi, j'ai reçu une initiation qui m'a mené à un autre niveau. Auparavant, j'étais devenu plus conscient de ce qui se passait. À présent, et de façon soudaine, cela ne faisait plus qu'Un avec moi, et il n'y avait plus d'art martial à connaître en tant qu'expérience séparée. J'étais devenu l'art martial, où que j'aille et quoi que je fasse.
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