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Rencontre du 3ème type avec l’Advaita
Le nihilisme euphorique de Ramesh Balsekar
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RB: Alors pourquoi l’être humain n’exerce-t-il pas le contrôle sur chacune des actions qu’il produit? Je vais vous poser une question. L’être humain a, de toute évidence, beaucoup d’intelligence, tellement d’intelligence qu’un minable humain a été capable d’envoyer un homme sur la lune.
WIE: Oui, c’est vrai.
RB:Et il a aussi l’intelligence de savoir que s’il fait certaines choses, les conséquences seront terribles. Il a l’intelligence de savoir que s’il produit des armes nucléaires ou chimiques, les gens vont les utiliser et de terribles choses vont arriver au monde. Il en a l’intelligence alors, si le libre-arbitre existe, pourquoi le fait il? Pourquoi a-t-il réduit le monde à ce qu’il est, s’il a un libre-arbitre ?
WIE: J’admets, que la situation que vous décrivez est évidemment insensée. Mais je dirai que cela est dû au fait que les gens sont faibles. Et je suis persuadé que les gens peuvent changer s’ils le veulent – si cela compte pour eux.
RB:Alors pourquoi ne le font-ils pas?
WIE:Il y a des gens qui changent, mais comme je l’ai dit, malheureusement, il semble que la plupart des gens ont trop peu de volonté. Avoir du libre-arbitre ne garantit pas que nous allons agir intelligemment. Comme dans l’exemple que vous venez de donner, il est clair que les gens choisissent souvent de faire des choses très destructrices.
RB:Si vous êtes en train de dire que nous avons la libre volonté de détruire le monde, cela veut dire que nous détruisons le monde parce que nous le voulons - en sachant très bien que le monde va être détruit ! Le libre-arbitre signifie que nous voulons le faire.
WIE: Je pense que le problème est plutôt que les gens ne prennent pas en compte les conséquences de leurs actions. Souvent ils ne pensent qu’à eux-mêmes, sans considérer où leurs actions pourraient aboutir.
RB:Mais l’être humain est formidablement intelligent. Pourquoi ne pensent-ils pas? Ma réponse est qu’ils ne sont pas censés le faire !
WIE: Quand vous dites « pas censés le faire », que voulez-vous dire?
RB:Ce n’est pas la volonté de Dieu que les humains pensent dans ces termes. Ce n’est pas la volonté de Dieu que les êtres humains soient parfaits. La différence entre le sage et la personne ordinaire est que le sage accepte ce qui est comme volonté de Dieu, mais - et ceci est important - cela ne l’empêche pas de faire ce qu’il pense doit être fait. Et ce qu’il pense doit être fait dépend de sa programmation.
WIE: Mais pourquoi le sage « ferait-il ce qu’il pense doit être fait » si, comme vous l’avez déjà expliqué, il sait que ce n’est pas lui qui pense en premier lieu.
RB:Vous voulez savoir comment une action se produit ? La réponse est que l'énergie dans cet organisme corps-esprit produit une action correspondant à sa programmation.
WIE: Alors l’action, comme vous le décrivez, ne fait que passer à travers la personne.
RB:Elle se déroule, oui. L’action se produit. C’est exactement ce que je suis en train de dire - pour revenir aux paroles du Bouddha « les événements arrivent, les actions se font. »
WIE: Cependant de ce que je sais des paroles du Bouddha est qu’il affirmait toujours que l’individu était personnellement responsable de ses actes. N’est-ce pas la base de tout son enseignement sur le karma, sur la loi de cause à effet ?
RB:Pas le Bouddha !
WIE: Mon impression est que le Bouddha enseignait beaucoup la notion «d’action juste ». Il semblait très concerné par ce que faisaient les gens et insistait pour que les gens fournissent l’effort nécessaire pour changer.
RB:Ceci est une interprétation postérieure du Bouddhisme. Les paroles du Bouddha sont très claires. Qui contrôle ce qui se passe ? Dieu est celui qui contrôle ! Comme nous l’avons vu, ceci est à la base de toute religion. Et pourtant, pourquoi y a-t-il des guerres de religions, si la base de toutes les religions est la même ? Ce sont les interprétations qui sont la cause de ces guerres ! Et comment tout cela pourrait-il arriver si ce n’est par la volonté de Dieu ?
WIE: Il est clair que vous pensez que tout ce que nous faisons est par la volonté de Dieu. Mais il me semble que cela n’a vraiment du sens que chez l’individu qui est arrivé à la fin de son chemin spirituel - qui est arrivé à la fin de l’ego - parce que les actions d’une telle personne ne sont pas égocentriques et par cela ne sauraient être une distorsion de la volonté de Dieu. Mais tant qu’il n’est pas arrivé à cet état, si un individu agit mal envers un autre, ce peut être par réaction compulsive parce qu’il est égoïste. Si ce que vous dites est vrai cela peut être utilisé comme justification pour tout comportement déplaisant ou agressif. On pourra simplement dire, « Tout est la volonté de Dieu. Ça n’a aucune importance ! »
RB:Je sais, mais c’est la vérité. Votre vraie question est : « Pourquoi Dieu a-t-il crée le monde tel qu’il est ? » Mais voyez-vous, un être humain n’est qu’un objet créé qui fait partie de la totalité de la manifestation issue de la Source. Alors ma réponse est : un objet créé ne peut jamais connaître son créateur ! Je vais vous donner une métaphore. Imaginons que vous peignez un tableau, et dans ce tableau, vous peignez un personnage. Puis ce personnage veut savoir, premièrement, pourquoi en tant que peintre, avez-vous choisi de peindre ce tableau-là et deuxièmement, pourquoi vous avez rendu votre personnage si laid ! Vous voyez, comment est-ce possible qu’un objet créé connaisse un jour la volonté de son propre créateur ? Cependant, à mon avis, cela ne vous empêche pas de faire ce que vous croyez devoir faire ! Accepter que rien ne se fait sans la volonté de Dieu n’empêche personne de faire ce qu’il croit devoir faire. Que peut-on faire d’autre ?
WIE: Si l’on suit cette façon de raisonner, comme je le disais, ce serait assez facile d’arriver à la conclusion, « Et bien, tout est la volonté de Dieu ; rien de ce qui arrive n’a d’importance » et ensuite simplement de tout laisser tomber.
RB:Vous voulez dire, « Pourquoi ne resterai-je pas au lit toute la journée? »
WIE: Oui, pourquoi faire quelque effort que ce soit ?
RB:La réponse à cette question est que l’énergie contenue dans cet organisme corps-esprit ne lui permettra pas de rester inactif longtemps. L’énergie va continuer à produire de l’action, physique ou mentale, à chaque fraction de seconde, suivant la programmation de l’organisme corps-esprit en question et aussi selon sa destinée, qui est la volonté de Dieu. Mais cela ne vous empêche pas, vous qui pensez toujours être un individu, de faire ce que vous pensez
devoir faire. Donc, ce que je suis en train de dire c’est que ce que vous croyez devoir faire dans n’importe quelle situation à n’importe quel moment, est précisément ce que Dieu veut que vous pensiez devoir faire ! En conclusion, l’acceptation de la volonté de Dieu ne vous empêche pas de faire ce que vous pensez devoir faire. Vous comprenez ? En fait, vous ne pouvez pas vous en empêcher !
WIE: J’ai lu dans une brochure écrite par plusieurs de vos élèves quelque chose qui semble pertinent à ce sujet : « Ce que vous aimez ne peut être que ce que Dieu veut que vous aimiez. Rien ne peut arriver si ce n’est par Sa volonté. » Le texte dit aussi : « Ne vous sentez pas coupable, même en cas d’adultère. Vous qui êtes la Source êtes toujours pur. »
RB:C’est ce qu’a dit Ramana Maharshi.
WIE: La Source sera peut-être toujours pure, mais encore une fois, il me semble que cette conception peut être comprise comme donnant le droit d’agir sans conscience. Vous pourriez dire, « Cela n’a aucune importance, si je commets l’adultère, aucune importance si je fais du mal à mes amis, parce que ces actions sont tout simplement arrivées». On pourrait prendre cela facilement comme la permission d’agir selon son désir, juste parce qu’il m’arrive d’avoir ce désir.
RB:Mais n’est-ce pas ce qui arrive ?
WIE: Certainement, cela arrive, mais…
RB:Voulez-vous dire qu’il en arrivera davantage ?
WIE: Cela pourrait facilement arriver plus. Je pourrais dire, « Et bien, ce que je fais n’a aucune importance maintenant. Je ne devrai pas prendre la peine de me retenir si je ressens un désir ». Vous comprenez ce que je veux dire ?
RB:D’habitude on me pose la question : « Si ce n’est pas vraiment moi qui agis réellement qu’est-ce qui m’empêche de prendre une mitrailleuse et de tuer une vingtaine de personnes ? » C’est bien votre question, n’est-ce pas ?
WIE: Oui mais c’est un exemple un peu extrême !
RB:Oui, prenons un exemple extrême !
WIE: Mais je trouve l’exemple de l’adultère plus intéressant, parce que la plupart des gens ne voudraient pas vraiment faire quelque chose d’aussi extrême que d’aller mitrailler les autres.
RB:Soit. C’est la même chose si nous parlons d’adultère. J’ai lu que les psychologues et les biologistes ont conclu en se fondant sur leurs recherches, que si vous trompez votre femme, vous ne devez pas vous sentir coupables. De plus en plus, le scientifique arrive à la même conclusion que le mystique, toute action trouve son origine dans la programmation.
WIE: Je peux comprendre que dans certains cas c’est peut-être vrai, mais admettons, par exemple, que j’ai cette pulsion de commettre un adultère. Je pourrais donc dire, « Cela doit être la volonté de Dieu que je le fasse, alors j’y vais » - ou bien, je pourrais me retenir et ne pas causer un tas de souffrance à mes amis. Est-ce que ça ne serait pas mieux de me retenir ?
RB:Alors qui vous empêche de vous retenir ? Faites ce que vous voulez ! Qu’est-ce qui vous empêche de vous retenir ? Retenez-vous donc !
WIE: Je pense que c’est mieux de faire ainsi !
RB:C’est aussi mon point de vue.
WIE: Mais d’après vous, je pourrais tout simplement dire « Ce doit être la volonté de Dieu parce que je ressens ce désir. » et ensuite ne pas me retenir
RB:Vous dites que vous savez que vous devriez vous retenir - alors pourquoi ne vous retenez vous pas ? Si un organisme corps-esprit est programmé pour ne pas tromper sa femme, il ne le fera pas quoi qu’on lui dise. Si vous avez été programmé pour ne pas lever la main sur un autre, est-ce que vous allez commencer à tuer des gens ? Maintenant, si on passe une loi qui vous donne le droit de battre votre femme sans qu’il y ait de poursuites, allez-vous commencer à la battre ? Seulement si l’organisme corps-esprit a été programmé pour le faire, et dans ce cas, il le fait déjà. Alors comme j’ai dit, accepter la volonté de Dieu ne vous empêche pas de faire ce que vous pensez devoir faire. Faites le ! Faites exactement ce que vous pensez devoir faire !
WIE: Finalement, comment pouvons-nous dire que nous savons que c’est le destin ou la volonté de Dieu ? Tout ce que nous savons c¹est que certains événements se déroulent. Plus tard, nous pouvons rétrospectivement dire que tel événement est, « tout simplement arrivé, » et si nous le voulons nous pouvons appeler cela le destin. Mais ne serait-il pas plus juste de dire que nous ne savons pas vraiment si c’est le destin ou non ? Dire que nous ne savons pas est différent de dire « Nous savons que c’est la volonté de Dieu. » C’est, différent de dire que nous savons que tout est fixé d’avance. Voyez-vous, il me semble que vous dites que vous savez pour de bon que tout est la volonté de Dieu.
RB:Nous ne le savons pas et ça c’est le fondement ; alors si vous voulez, vous pouvez laisser tomber le concept de destin et dire que personne ne peut réellement rien savoir. Très bien ! Le concept de destin n’est pas nécessaire. Après tout, si vous acceptez que tout ce qui arrive est hors de votre contrôle, qui sera là pour se préoccuper du destin ?
WIE: Comme beaucoup de gens viennent à vous pour entendre vos conseils au sujet de leur chemin spirituel, je voudrais vous demander quelle valeur donnez-vous (s’il en est une) à la pratique spirituelle en tant que moyen d’atteindre l’éveil ?
RB:Si une sadhana (pratique spirituelle) est nécessaire, l’organisme corps-esprit est programmé pour faire une sadhana.
WIE: En d’autres termes, si cela arrive, cela arrive ?
RB:C’est exact. Parfois les gens me demandent, « Si rien n’est en mon pouvoir, est-ce que je dois méditer ou non ? » Ma réponse est très simple. Si vous aimez méditer, alors méditez, si vous n’aimez pas méditer, ne vous forcez pas.
WIE: Est-ce que la recherche spirituelle est un obstacle à l’éveil ?
RB:Oui, la quête spirituelle est le plus grand obstacle à cause de celui qui cherche. C’est le chercheur qui est l’obstacle - pas le fait de chercher ; la quête se fait d’elle-même. La quête se fait d’elle-même parce que l’organisme corps-esprit est programmé pour chercher ce qu’il cherche. Alors si la recherche de l’éveil se fait, c’est que l’organisme corps-esprit a été programmé pour cette quête. L’obstacle est le chercheur qui dit : « Je veux l’éveil. »
WIE: Comment se fait-il que beaucoup de grands sages ont parlé de l’importance de la quête ? Ramana Maharshi a dit que celui qui cherche doit désirer l’éveil autant qu’un homme qui se noie désir respirer - avec ce niveau de concentration et de sincérité là.
RB:Bien sûr. Cela veut dire qu’il faut ce genre d’intensité dans la recherche. Mais il a aussi dit : « Si vous voulez faire un effort, vous devez faire un effort ; si le destin ne l’a pas prévu, l’effort ne se fera pas ». C’est ce que Ramana Maharshi a dit. Alors vous voyez, que l’on cherche ou que l’on ne cherche pas, c’est hors de votre contrôle. Ni la recherche de Dieu, ni celle de l’argent n’est à votre crédit ou de votre faute.
WIE: Vous avez écrit dans un de vos livres qu’on est déjà arrivé à une compréhension bien profonde quand on peut dire, « Cela m’est égal que l’éveil advienne dans cet organisme corps-esprit ou non ».
RB:C’est juste. Quand il arrive à ce stade, cela veut dire que le chercheur n’est plus présent. C’est très proche de l’éveil parce que s’il n’y a plus personne pour s’en soucier, il n’y a plus de personne qui cherche.
WIE: Mais est-ce que le résultat ne pourrait pas être une indifférence incroyablement profonde - ce qui n’est pas l’éveil.
RB:Cela pourrait mener à l’éveil !
WIE: J’ai encore une question. Vous dites souvent que nous devrions « juste accepter ce qui est ».
RB:Oui, s’il vous est possible de le faire - et cela est hors de votre contrôle !
ÉPILOGUE
Comme je passai devant le gardien en trébuchant, me trouvant dans les rues animées de Bombay, mon esprit était pris dans un tourbillon. Tout en me frayant un chemin à travers la foule, je me demandai comment il était possible qu’un homme intelligent et éduqué comme Ramesh Balsekar, put réellement croire que tout est prédestiné, que même avant notre naissance, notre destin est déjà gravé dans une sorte de granite éthéré ? Peut-il vraiment être sérieux quand il insiste sur le fait que notre vie entière, avec son flot incessant de choix, de décisions et d’opportunités hasardeuses qui dirigent le cours de notre vie pour le meilleur ou pour le pire, n’est en fait, depuis le premier souffle, qu’un fait accompli? En traversant le trottoir à la recherche d’un café pour me réfugier du chaos, les tournants difficiles de notre court dialogue tourbillonnaient dans ma tête. Oui, « que Ta volonté soit faite » est l’essence de la plupart des religions, pensai-je, mais pour les grands mystiques et sages qui ont énoncé de telles paroles à travers l’histoire, la soumission à la volonté de Dieu signifiait beaucoup plus que la simple acceptation qu’il n’y a rien que personne puisse faire pour changer les circonstances de sa vie. Bien sûr traditionnellement la « volonté de Dieu » est ce que l’on nomme ce que l’on découvre une fois que l’ego a été complètement abandonné, une fois que toutes les motivations égoïstes ont été éteintes, ne laissant qu’un être complètement soumis à la volonté de Dieu, quelle qu’elle soit ! Que Jésus, ou Ramakrishna, ou Ramana Maharshi disent être soumis à la volonté de Dieu est une chose. Mais dire que c’est vrai pour tout le monde me semblait, à ce moment, être le reflet d’une forme de folie particulière et même dangereuse - une forme qui pouvait être utilisée pour justifier les comportements les plus extrêmes. La phrase de Balsekar, « Ce que vous pensez devoir faire dans n’importe quelle situation est précisément ce que Dieu veut que vous pensiez devoir faire » signifie qu’un éveillé comme le Bouddha n’exprime guère plus la volonté de Dieu qu’un meurtrier en série s’attaquant à sa prochaine victime.
J’étais arrivé à cet entretien avec le pressentiment que nous aurions un certain désaccord, mais même les livres de Balsekar – dans lesquels toutes ses idées sont clairement exprimées et répétées - ne m’avaient pas préparé à la rencontre avec l’homme lui-même. Comment avait-il pu concocter tout cela, me demandais-je. Et pourquoi ? Mes pensées tournaient en rond. Je me remémorais tout ; depuis sa terrifiante revendication que même si nous blessons quelqu’un n’étant pas responsables de nos actions nous n’étions pas coupables, que même « Hitler n’était qu’un instrument à travers lequel les événements horribles qui devaient arriver sont arrivés » ; jusqu’à sa prétention, en dépit de tout bon sens, que nous n’avons pas le pouvoir de contrôler nos comportements ni d’influencer le comportement d’autrui. Et tout cela dans une description qui tient de la science-fiction des êtres humains comme « organismes corps-esprit » qui agissent uniquement selon leur « programmation ».
Soudain je vis à travers le brouillard l’enseigne accueillante d’un salon de thé. Entrant dans ce lieu, j’étais soulagé d’y trouver la sorte de calme oasis que j’espérais. C’était là, à une des nombreuses tables vides, alors que la première gorgée de thé au lait douceâtre passait mes lèvres, que je compris tout en un éclair. Je ne buvais pas de thé ! Je n’étais pas assis à cette table ! En fait, je n’étais pas celui qui était entré dans ce salon de thé. Et je n’étais pas celui qui venait de passer une heure à se tourmenter en discussion avec un homme qui à présent commençait à m’apparaître comme le seul être raisonnable. En fait, ce n’avait jamais été moi qui agissais. C’était comme si un fardeau que j’avais porté toute ma vie avait tout d’un coup été soulevé par un ballon d’air chaud, balayé pour ne plus jamais revenir. Toutes ces années, je m’étais battu pour devenir un être humain meilleur, plus honnête et plus généreux - tous ces efforts que pour renoncer à mes tendances égoïstes et agressives, à mon sentiment de supériorité – tout cela n’avait été que pure folie, et bêtise inutile fondées sur l’idée égocentrique que j’avais quelque contrôle sur ma propre destinée, et sur la présupposition ridicule que ce que j’avais fait subir aux «autres » avait une quelconque importance. Comment pouvais-je m’être autant égaré ?
Mais attendez, ce n’était même pas moi qui m’étais égaré ! Soudain, comme lorsque les nuages s’ouvrent, je pouvais voir clairement que, ce que j’avais considéré comme « ma vie », n’étais en fait qu’un processus mécanique. La personne que je pensais être n’était qu’une machine. Et le monde dans lequel je pensais vivre n’était pas, comme je le croyais, d’une complexité humaine, mais d’une simplicité mécanique, d’un ordre parfait, un déroulement mathématique de programmes mis en mouvement au commencement des temps.
Alors que la perfection clinique du plan scientifique de Dieu se révélait à moi, un frisson extatique de liberté absolue – être libre de tout soucis, de soin pour les autres, d’obligation, de culpabilité ! – se mit à parcourir mes veines comme un torrent libéré de ses barrages. Cela s’accompagnait d’une immense paix qui m’enveloppa, et de la cessation absolue de toute tension, dans cette reconnaissance que, quelle que soit l’apparente ambiguïté ou le sentiment d’insécurité que je pourrais rencontrer, dorénavant je pourrais rester assuré que quelles que soient les décisions difficiles auxquelles j’aurais à faire face, le choix que je ferais serait exactement celui que Dieu voudrait.
La sensation mystérieuse d’un Inconnu qui me tiraillait depuis si longtemps s’était évaporée. J’éclatais de rire, un long rire guttural qui fit tourner la tête des clients du salon de thé, et je me dis quel jeu fantastique serait la vie si tout le monde comprenait comment tout cela fonctionne vraiment, si tout le monde pouvait au moins entrevoir un bref instant combien nous serions libres, si nous vivions tous sur la Planète Advaita
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